Ce week-end encore, j’étais à écumer les marchés. Samedi, un premier marché de potiers près de la Bourboule. Organisation à perfectionner, communication un peu faible, temps médiocre, visiteurs rares et recette bien pauvre. Même les potiers ne sont pas venus ! Une sombre histoire d’approbation par l’association régionale a fait que certains se sont désistés. On était quatre de l’association à avoir bravé l’opprobre de notre présidente plus deux déjà hors de l’association. Six potiers pour une jolie cour. Le marché de l’année prochaine sera mieux organisé et sans doute plus rémunérateur. Mais j’ai tiré de bonnes choses de celui de cette année. Des compliments de potiers sur mon travail. Des encouragements à continuer sur la voie qui se dessine doucement. Un constat : les félicitations vont à mon travail sur les émaux, alors que c’est la partie qui m’intéresse le moins. Je vais donc me forcer un peu, essayer de faire un effort et travailler un peu plus de ce côté.
Dimanche, j’étais à une fête du pain, dans un petit village creusois, pas très loin d’Aubusson. Ces fêtes de village, c’est un peu le passage obligé des potiers qui débutent. Pas très rémunérateurs, fatiguants. Ceux qui sont installés depuis longtemps les évitent. On se retrouve à écouter en boucle un album de Bernard Lavilliers diffusé sur les hauts-parleurs qui sont, le hasard fait parfois mal les choses, pointés directement sur le stand. Seule artisan de la fête, j’étais coincée entre une nana qui vendait des pintades et une autre des foies gras et juste en face du four à pain. J’ai vu les miches s’envoler, aussitôt sorties du four, aussitôt emballées et emportées. Pour la fournée de 15h, c’était presque la foire d’empoigne.
Et au milieu de tout ça, quelques belles rencontres, des mots échangés, des émotions partagées.
Tout d’abord, en matinée, une vieille dame aux cheveux blancs, mince, habillée de sombre. Je lui explique que je suis originaire de Magnat, un village à 25 km. Quand elle voit mon nom, elle s’exclame : « ah oui, j’ai mangé chez votre grand-mère, au début de ma carrière, quand je faisais des remplacements à l’école. Elle faisait un lapin aux pruneaux extraordinaire. Et elle était d’une gentillesse ! C’était avant mon mariage, dans les années 51-52″. Ca me fait tout drôle de parler avec cette dame, qui a connu ma grand-mère il y a si longtemps. Une grand-mère que j’adorais, morte il y a maintenant 13 ans. Elle tenait un hôtel-restaurant dans lequel j’ai passé tous mes mois d’août de 10 à 20 ans. C’est vous dire si j’en ai des souvenirs de cet hôtel-restaurant.
Un peu plus tard, un homme passe, petit, trapu, les cheveux grisonnants. Sa tête me dit quelque chose, mais impossible de me souvenir. Il repasse une heure après : »ben ça alors, si je pensais te retrouver là ! C’est Serge qui m’a dit que tu exposais ! ». Ben oui, mais c’est quoi son prénom ? « Léon, de la Lyonnaise des Eaux ». Alors, les souvenirs remontent un peu plus. Au restaurant, il y avait deux sortes de clients. Ceux qu’on ne connaissaient pas très bien et qui mangeaient dans la salle du restau. Et tous les autres, pour lesquels, en été, on mettait une rallonge à la table de la salle à manger. On se retrouvait à quinze, vingt personnes à manger ensemble. Les pensionnaires d’été, qui venaient passer deux semaines de vacances en pension. Les bûcherons, qui venaient faire une coupe dans le coin. Les employés de la Lyonnaise des Eaux, ou ceux du Crédit Agricole, en tournée et qui revenaient toutes les semaines. Ca discutait, ça mangeait, c’était vivant.
Léon est reparti, promettant de revenir en fin d’après-midi.
J’ai alors vu un autre homme passer. Et pareil que pour Léon, je savais que je le connaissais, mais je ne retrouvais pas son nom. Je l’ai aperçu deux-trois fois, avant qu’il ne vienne me parler. C’est quand il a vu l’affiche sur mon stand, avec mon nom, qu’il m’a reconnue. Car pour lui aussi, mon visage était familier mais il n’arrivait pas à remettre. Lui, c’est Gilles, un autre employé de la Lyonnaise. Il est tout content que je sois là. Et tout ému aussi. Il se met à me parler de ma grand-mère lui aussi. Ces repas en commun lui ont laissé un grand souvenir. « C’était familial, on était bien reçus, on mangeait bien, c’était comme une famille. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil. Parfois, quand je passe, tout seul dans la voiture, je repense à cette période ». Pourtant, il n’est pas bien vieux pour être nostalgique à ce point. Il avait une vingtaine d’années à l’époque, il en a à peine quarante aujourd’hui. Et moi, ça me touche qu’il se souvienne à ce point de ma grand-mère.
Léon est repassé en fin d’après-midi. On a rediscuté. Lui aussi me parle de ces repas, de l’ambiance famille : « là-bas, j’étais comme chez moi ». Il en avait les larmes aux yeux. « Elle me manque, ta grand-mère ». Je ne savais pas qu’elle avait autant marqué les gens et là, je suis contente de voir qu’elle était vraiment aimée. Je me dis qu’elle avait réussi à créer un endroit plein de gentillesse et de bonne humeur, où les gens se sentaient bien. J’en ai pleuré à la fin de ce marché, j’en pleure un petit peu à raconter tout ça. Et si ces marchés n’étaient pas très rémunérateurs en euros, j’y ai trouvé beaucoup d’autres choses qui me rendent la vie belle.